Pour un français moderne et international
Après avoir décrit la situation désespérée de la langue française dans mon article précédent, il convient d’être plus optimiste, ou plutôt…
Drapeau de la francophonie.
Après avoir décrit la situation désespérée de la langue française dans mon article précédent, il convient d’être plus optimiste, ou plutôt réaliste.
Le constat est sans appel, bien qu’il y ait plus de 6 000 langues parlées dans le monde, seule deux sont vraiment des langues mondiales d’après le linguiste David Graddol : le français et l’anglais. Ce sont les deux seules langues officiellement parlées sur tous les continents. Dans cette hiérarchie des langues, viennent ensuite les langues « régionales » (arabe, chinois, russe, espagnol et allemand). Puis une centaine de langues officielles dans au moins un État.
Le français a donc une position de force. C’est aussi la langue de travail de nombreuses organisations internationales. Et puis surtout, parler français c’est parler « la langue de l’amour ». Un argument de vente imparable.
Dans sa grandeur passée, le français a influencé le vocabulaire de toutes les autres langues du monde : de l’anglais (un mot sur deux est d’origine française) à l’indonésien. Mais aujourd’hui, c’est plutôt le français qui est influencé, et quasi-exclusivement par l’anglais. Or une langue vivante c’est une langue qui invente des mots. Ainsi, il y a toujours des gens qui parlent le latin, et pourtant c’est une langue morte, car elle n’invente plus. De même, pour faire renaître l’hébreu, il a fallu que Ben-Yehoudah (et d’autres) invente des mots pour des concepts qui n’existaient pas en hébreu liturgique (la voiture, la tomate, etc.).
Cela ne veut pas dire refuser les emprunts, mais force est de constater que le français n’est plus désormais une langue créatrice. Plus exactement, le français n’est créateur qu’à ses frontières. Tout d’abord les frontières géographiques, hors de la France métropolitaine. En particulier au Canada et en Afrique francophones (on utilise un ordiphone au Québec et on s’enjaille en Côte d’Ivoire). Mais aussi les « frontières sociales », hors de l’élite parisienne qui définit le « français standard » : les banlieues, avec une langue qui emprunte beaucoup au langage des immigrants ou au verlan (« Wesh meuf ! », comme le rappelle The Economist).
En dehors de ces frontières, le français est corseté dans des règles rigides. C’est une langue élitiste avec des règles absurdes, faites pour discriminer ceux qui ne les respectent pas. Le problème est qu’aujourd’hui, même l’élite n’écrit plus français correctement. Parmi mes amis X ou ESSEC, rares sont ceux capables de faire la différence entre futur simple et conditionnel présent (« Je ferai ça demain. » contre « Si j’étais toi, je ferais ça. »). De même pour la différence entre indicatif (« Tu l’achètes ! ») et impératif (« Achète-le ! »). Autre exemple, le site Bescherelle ta mère recense les fautes dans les médias et il y en a un paquet. Si l’élite éduquée ne s’y retrouve plus, alors c’est évidemment pareil pour le francophone moyen. Sur Twitter, on voit ainsi souvent apparaître des hashtags tendance avec des fautes : #TwitterAppartiensAuxAfricains ou #LesPortugaisPleureDuCiment (j’ai sélectionné les meilleurs !).
Les conservateurs diront qu’il faut mieux enseigner le français, que l’école ne joue plus son rôle, que c’était mieux avant, etc. Mais non, ce qu’il faut c’est une véritable réforme de la langue française. La langue appartient à ceux qui la parlent. Et aujourd’hui le français écrit s’éloigne de plus en plus du français oral. Il est temps de mettre en place une grande rationalisation de l’orthographe française, pour supprimer les exceptions, simplifier la grammaire et rendre la langue plus transparente (l’écrit plus proche de la prononciation). Pourquoi ne pas écrire comme on prononce : « J’achète, tu achète, il achète, elle achète, on achète, vous achetez, ils achète » ? (Vous remarquerez que j’ai omis le « nous », qui n’est plus utilisé en français oral.) Les conjugaisons ne rajoutent pas de sens et il n’y a pas de liaison après le verbe (sauf être et avoir, et encore, de moins en moins). L’orthographe est une des forces de l’anglais. Plusieurs fois j’ai échangé des SMS avec des Français aux États-Unis qui écrivaient parfaitement en anglais, mais bourré de fautes en français. Pourtant le français était leur langue maternelle, apprise durant toute leur scolarité en France.
Cette réforme de la langue française, bien plus ambitieuse que la réforme de 1990, devra prendre compte la diversité de la francophonie. Car l’avenir du français est en Afrique. En effet, d’après la banque Natixis, le français sera en 2050 la langue la plus parlée au monde (La francophonie, une opportunité de marché majeure, Jérôme Bodin et Pavel Govciyan, Natixis). Cette étude a été critiquée, mais ce qui est sûr c’est que près de 90 % des francophones vivront en Afrique. Pour accompagner la scolarisation de l’Afrique, il faudra que le français se simplifie et s’internationalise. Sinon il se passera partout en Afrique ce qu’il s’est passé au Rwanda où en 2008 l’anglais a officiellement remplacé le français dans l’enseignement et l’administration.
Certains ont compris ce changement de paradigme. Un jour à Pékin, je rentre dans un magasin de costumes et quand je dis que je suis Français, le fils du patron arrive avec un livre de français : « On a beaucoup de clients d’Afrique, alors je veux qu’il parle français pour faire du commerce avec eux. »
À nous maintenant de moderniser le français…
Originally published at inekto.wordpress.com on September 1, 2015.