Indignation(s) sélective(s)
Après les attentats de Paris, certains ont été scandalisés par notre « indignation sélective ». En effet, les attentats commis par Daesh la…
La capitale sous haute surveillance. ©afp.com/BERTRAND GUAY
Après les attentats de Paris, certains ont été scandalisés par notre « indignation sélective ». En effet, les attentats commis par Daesh la veille à Beyrouth (43 morts, deux cents blessés) n’ont pas entraîné un mouvement mondial de compassion et de sympathie similaire à celui de Paris. Pas de safety check sur Facebook, pas de vague de drapeaux libanais sur les réseaux sociaux, pas de hashtags consacrés.
Est-ce vraiment surprenant ?
Plus généralement, si les attentats avaient eu lieu à Bruxelles, Berlin ou Lisbonne, aurait-on vu fleurir les #PrayForBruxelles sur Twitter ?
Je ne pense pas.
La règle est en effet vieille comme le monde : un cambriolage dans votre immeuble vous affecte plus que cent morts dans une mine en Chine. C’est la fameuse « loi de proximité » bien connue des journalistes, qui dit qu’un évènement a plus d’importance pour les lecteurs s’il est « proche » d’eux, d’un point de vue géographique, temporel, affectif et sociétal. Car quand l’évènement est proche on se dit « ça aurait pu m’arriver ».
Alors qu’est-ce qui fait de Paris un endroit spécial ?
Paris est la 3ème ville la plus visitée au monde, c’est aussi la meilleure ville pour étudier. Partout dans le monde, les gens rêvent d’y aller. Chacun se rappelle un séjour parisien passé. Tout le monde connaît des amis qui y vivent. À l’inverse, est-ce le cas pour le quartier de Burj El Barajneh à Beirouth ? Ou pour Bruxelles ? Vraisemblablement pas.
Cela ne veut évidemment pas dire qu’une vie parisienne vaut plus. On devrait se soucier autant des morts libanais, maliens ou français. Mais on ne changera pas l’homme : nous sommes égoïstes.
En revanche, un autre indignation sélective est bien plus choquante à mes yeux.
En effet, pour la première fois après ces attentats, j’ai ressenti la peur.
Pourtant, ce n’est pas la première fois que la France est visée par le terrorisme. Ces dernières années, plusieurs attaques ont eu lieu.
Mais quand ils ont tué des militaires, je n’ai rien ressenti. Parce que je n’étais pas militaire.
Quand ils ont tué des juifs, je n’ai rien ressenti. Parce que je n’étais pas juif.
Quand ils ont attaqué des policiers, je n’ai rien ressenti. Parce que je n’étais pas policier.
Quand ils ont tué des journalistes, je n’ai rien ressenti. Parce que je n’étais pas journaliste.
Quand ils ont ciblé des églises, je n’ai rien ressenti. Parce que je n’étais pas chrétien.
Enfin ils sont venus te tuer toi, à la terrasse d’un café, dans un restaurant, une salle de concert ou aux abords d’un stade de foot, et là j’ai eu peur.
Il a donc fallu que de tels évènements aient lieu pour qu’enfin je me rende compte de la menace terroriste. Pour qu’enfin je comprenne ce que ressentent les juifs de France toutes les semaines quand ils vont à la synagogue. Ce que vivent les Libanais, les Syriens, les Irakiens ou les Israéliens chaque jour. La peur des attentats, la peur de dire au revoir pour la dernière fois à son fils quand il part le matin à l’école. La peur quand votre fille n’est toujours pas rentrée et qu’ils annoncent une attaque à la télé.
Avant ça, les attaques étaient pour moi juste un fait divers de plus. Consciemment ou inconsciemment je me disais que ça ne pouvait pas m’arriver, puisque je n’étais pas une « cible ». Mais aujourd’hui, parce que précisément ils ont tué n’importe qui, je me sens concerné. Et bien plus que ma peur, ce que je trouve terrible c’est ce relativisme qui fait que certaines vies ont plus de valeur que d’autres…